All That Jazz à la Zinoun
Mercredi 26 mai, Lahcen Zinoun était l’invité du Café littéraire qui se tient à l’Hotel Pietri, chaque dernier jeudi de chaque mois. Invité pour parler de sa vie et de son livre LE RÊVE INTERDIT, il m’apprend que son projet de film, dont l’histoire tourne autour de la danse moderne, a été refusé par les membres de la Commission du Fonds d’aide qui le convoquèrent au CCM pour lui dire « à quoi ça sert de faire un film sur la danse ».
J’ai été plus que scandalisé d’entendre ces mots de la bouche de Zinoun ainsi que dégouté par l’Inculture de cette commission qui a été mise sur place par l’ex-ministre de la Communication, l’inculte Mustapha Khalfi, un islamiste ennemi de l’art. Ayant demandé à prendre la parole pour apporter mon soutien à Lahcen Zinoun, l’animateur Bichr Bennani, qui distribue le temps de parole pendant le débat, m’accorda deux minutes en me disant sur un ton désagréable, irrespectueux et vulgaire « Pas plus de deux minutes. » J’ai vu noir. J’ai senti le sabotage, prémédité, refaire surface malgré plus de quatorze mois d’accalmie due au Coronavirus.
Flash back
Il y a une quinzaine d’années, Bichr Bennani, en bon propriétaire poli et éduqué de Les Éditions Tarik, me demanda de venir parler de mon parcours d’homme de théâtre et de cinéaste, dans le cadre des rencontres littéraires, appelées Les jeudis du Pietri qu’abritait, et abrite, depuis quatre ans, sous le nom de Le Café littéraire, l’hôtel Pietri, ex-hôtel Les Oudayas, dont le bar-restaurant était devenu, vers la fin des années quatre-vingt dix, un lieu lugubre et tristement squatté par des filles de joie qui triment à la sueur de leurs sexes pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles. Honnis soient les régimes politiques qui ne peuvent rendre heureux les peuples qu’ils gouvernent.
Ayant accepté de venir animer Les Jeudis du Pietri, j’ai demandé si j’allais être payé, étant donné que je ne suis ni un fonctionnaire de l’Etat, ni un cadre du secteur privé. Bichr Bennani me proposa deux mille dirhams. Je les ai acceptés avec joie.
Avant de commencer à parler de mon univers d’homme de théâtre et de créateur qui fait des films, j’ai tenu tout d’abord à rappeler à l’assistance que le beau restaurant-bar où elle se trouve en ce moment, paisiblement et confortablement assise, en train de boire une eau minérale, un verre de thé, un whisky, un verre de vin, une bière ou un jus de fruit, était, il y a à peine quelques années, un lieu de dépravation, infréquentable et indigne d’être fréquenté. J’ai donc félicité le propriétaire des lieux, Driss Ben Abdallah, co-penseur avec Bichr Bennani des Jeudis du Pietri. Cet homme a su, à mes yeux, transformer un restaurant-bar malfamé en un très joli restaurant-bar, bien fréquenté et bien apprécié, montrant que le Marocain et la Marocaine peuvent changer en bien l’image de leur pays. Content donc d’être l’invité, rémunéré des Jeudis du Pietri, j’ai proposé à l’assistance, avant que je parle de mon cinéma, de regarder quatre extraits de quatre de mes six premiers films. Le technicien lance la projection d’un extrait de Brahim Yach. L’image s’empare de l’écran, montrant le grand comédien Larbi Doghmi, courant et hurlant, sans le moindre son. Un problème technique tombé du ciel ? Le Ciel peut-il sauver la situation ? Ça sentait le flagrant sabotage ; le sabotage prémédité et programmé. J’en ai l’habitude depuis plus de cinquante ans. Qu’a cela ne tienne. J’ai demandé au technicien de projeter à nouveau l’extrait silencieux de Brahim Yach, et, micro à la main, j’ai doublé tous les rôles. J’avais fait exactement ce que j’avais déjà fait pour Brahim Yach, projeté, sans sous-titres, au Festival de Berlin de 1984, dans sa section Panorama qui, plus de trente plus tard, accueillera Hicham Lasri, un talentueux vidéaste, qui a reçu de la part du Fonds d’aide à la production cinématographique marocaine (avance sur recettes) plus de treize millions cinq cent mille dirhams pour faire trois films.
Ne pouvant donc projeter les trois autres extraits, à cause de la défaillance du son, j’ai lu à haute voix ma première pièce de théâtre Les Milliardaires qui parle de l’enlèvement et de l’assassinat de Mehdi Ben Barka. C’est une pièce que j’ai écrite en 1967 puis mise en scène et jouée à la Maison du Maroc à Paris, (Boulevard Jourdan) en mars 1968. Parmi les spectateurs qui étaient présents à cette unique représentation de Les Milliardaires, il y avait Fatima Mernissi que je revois, quarante plus tard, assise en face de moi, en train de m’écouter lire, nerveusement et frénétiquement, ma pièce de théâtre Les Milliardaires. Comme j’aurais aimé lire Les Milliardaires au Café littéraire Fatema Mernissi à HEM.
J’espère que Mohamed Ben Abderrahman Tazi, qui a reçu du Fonds d’aide à la production cinématographique marocaine (avance sur recettes), la somme de quatre millions cinq cents mille dirhams pour faire un film qu’il a écrit sur Fatima Mernissi, saura lui offrir le grand film cinématographique qui l’immortalisera.
Il faut que les 80% des magouilleurs qui bénéficient du Fonds d’aide à la production cinématographique marocaine (avance sur recettes), apprennent à mettre les millions de dirhams qu’ils reçoivent du CCM, dans la production des films qu’ils sont censés produire et réaliser, en s’investissant corps et âmes, au lieu de les mettre dans leurs comptes bancaires ou les investir dans l’immobilier. Je n’ai cessé et ne cesse, depuis plus de trente ans, de condamner ces magouilles par des articles, écrits en arabe ou en français.
Je sais que Lahcen Zinoun est foncièrement un artiste propre et honnête. Aussi je lui demande de se battre pour nous donner un ALL THAT JAZZ à la Marocaine où sa vision de créateur-cinéaste-chorégraphe pourra s’exprimer sans limite, car l’argent de l’avance sur recettes que lui accordera la Commission du fonds d’aide ira totalement dans la production de son prochain film, un ALL THAT JAZZ à la Zinoun.
Rabat 31 mai 2021
Nabyl Lahlou
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