En marge du 13ème Festival International du
Film de la Principauté de Marrakech
L’insoutenable impossibilité de grandir chez soi.
Les grands créateurs existent autant par la forte personnalité de leur
mémoire que par leur talent, ou leur génie. Un cinéaste qui n’a pas de mémoire ne
peut être ni un grand créateur, ni un vrai cinéaste. En revanche, un grand
cinéaste, en vrai créateur et démiurge qu’il est, brille par sa mémoire, une
mémoire qui ne peut admettre l’oubli, jouer à la mémoire qui oublie, ou à la
mémoire qui fait semblant d’oublier. Quand on est sain de mémoire, on ne peut travestir
ni la vérité, ni la réalité, encore moins les
effacer de la mémoire.
Pendant le FIFM de 2007, me trouvant subitement face à face avec l’actuel
président du jury de ce 13ème FIFM, Martin Scorsese, je n’avais pas
hésité une seule seconde à lui demander
de me céder sa place pour animer, à sa place, la « leçon de cinéma »
(Master-class), qu’il devait donner le lendemain. Et en l’écoutant donner
sa « leçon de cinéma », je croyais m’écouter parler. Ma mémoire
garde, intacte, cette proposition que j’avais faite à Martin Scorsese, pendant que, mélangés à la foule des cinéphiles,
nous nous apprêtions à entrer dans la grande salle de projection du Palais des
Congrès, cette belle œuvre architecturale qui a été conçue et construite, dans
les années 80, par Abdelhadi Alami, un jeune entrepreneur marocain, à qui la
Fondation du FIFM aurait dû rendre hommage, depuis bien longtemps, car, sans l’existence
de son Palais des Congrès( dont il a été dépouillé), le FIFM aurait, dès sa
première session en 2001, atterri au cinéma Colisée, dont le gérant a été
décoré de l’Etoile de Marrakech, par la comédienne française Jeanne Moreau, la présidente
du jury du 2ème FIFM, présidé pour la deuxième et dernière fois par
le conseiller du roi, André Azoulay qui est toujours conseiller du roi.
Revenons donc à la mémoire qui est le déclic de toute écriture scénaristique, pour demander à la mémoire de l’auteur de L’âme
qui brait si elle pense que la mémoire du père de Raging Bull a bel et bien entendu et enregistré la
proposition de l’auteur de Brahim Yach, d’animer la Master-Class à la place
du géniteur de Mean Streets ? Sans doute que oui, car elle est tombée
dans une mémoire libre et démocratique, la mémoire d’un grand cinéaste, humain
et créatif.
Qu’a-t-elle retenu la mémoire de Mélita Toscan du Plantier, la directrice
du FIFM, quand je lui avais dit, en 2006, et en présence de Faïçal Laaraïchi, délégué
du président de la Fondation du FIFM, le prince Moulay Rachid, que j’aimerai
bien être le prochain président du jury du prochain FIFM. Sans doute que sa
mémoire garde-t-elle encore les séquelles de cette agression physique et psychique
que le cinéaste « indigène » que
je suis, a commise envers elle, en me proposant de présider le futur jury de
son FIFM, le FIFM de Mélita dont la mémoire est habitée par les grands noms de
cinéastes super médiatisés, tous inscrits dans le précieux agenda qu’elle a hérité
de son de défunt mari, Daniel Toscan Du plantier, celui par qui est arrivé le
FIFM, ce FIFM franco-français qui a commis la grande gaffe de vouloir singer
Cannes où je ne me suis jamais senti étranger, alors qu’au FIFM, je me sens l’indigène
du temps du protectorat.
La directrice du FIFM, la valeureuse Mélita, reste persuadée qu’il n’existe
au Maroc aucun cinéaste marocain qui possède les qualités pour présider le jury
de son FIFM, un FIFM qui a besoin pour être crédible, d’un président de jury, planétairement connu comme Always, ou toute
autre marque mondialement connue.
Un marocain du nom de Mohammed Ben Mohammed comme président du jury du FIFM, voilà de quoi faire fuir les
VIP de l’héxagone.
L’insoutenable impossibilité de grandir chez soi, l’inacceptable condition
de rester petit chez soi, l’exécrable résignation de ne vouloir rien changer chez soi, voilà qui fait que notre pays restera
petit avec ses hommes et ses femmes qui refusent de grandir parce que le
système refuse de les voir grandir. Resterons-nous petits et drapés de petitesse
jusqu’à la fin des temps parce que nous avons accepté, dès notre naissance, d’être
petits et de rester petits?
Quand j’avais adressé, en 2007, une lettre ouverte au cinéaste Françis
Ford Coppola pour lui parler de la situation du cinéma dans notre pays, en lui disant
que je suis aussi doué et génial que
lui, parce que contrairement à lui qui vit et travaille dans un pays de grande
liberté de parole et de création, moi, je végète dans un bled ou le mot est surveillé
et la parole, sous surveillance, des voix s’étaient élevées pour crier au
blasphème : « Comment Nabyl Lahlou ose-t-il se comparer au grand Francis
Ford Coppola. », avait écrit un journaliste dans un journal.
Il n’y pas que le régime et son système qui refusent de nous voir
grandir, Il y a également tous ces mercenaires et ces profiteurs du régime et
du système, dont ils font à longueur de
journée l’apologie, qui s’opposent à ce que la création cinématographique marocaine
grandisse.
Le FIFM s’inscrit dans cette politique , car tous les films, dits
marocains, retenus pour la compétition du
FIFM, sont des films réalisés par des cinéastes franco-marocains, ou belges d’origine
marocaine, ou encore possédant la nationalité française, ou autre nationalité
que marocaine. Pas de place pour les cinéastes indigènes qui n’ont que la
nationalité marocaine : les archives en témoignent, à l’exception de la
première session du FIFM.
Quand le FIFM deviendra-t-il Marocain et dirigé par les Marocains ?
Jamais, car les Marocains veulent rester des incapables et, en même temps, de
voraces et sournois profiteurs. Jamais le FIFM ne sera marocain tant que les
ministres et les haut-responsables n’apprendront pas même pas à venir à l’heure
aux projections, en oubliant leurs mauvaises habitudes d’arriver avec une demie
heure de retard.
Mais le FIFM deviendra Marocain et brillera internationalement de mille
feux et éclats, quand tout bonnement une nouvelle génération de Marocains et de
Marocaines, remplacera les Marocains actuels qui ne cessent de se mépriser et
de se diviser entre eux. En attendant, Bruno Barde continuera de faire son beurre
en prenant la part du lion sur les quatre vingt millions de dirhams qui représentent
le budget de ce 13ème FIFM. Quand je pense que le budget du dernier
Festival International du Cinéma du Caire était inférieur à six millions de dirhams, je ne peux que crier : HALTE
AU GASPILLAGE !.
Rabat
le 3 décembre 2013
Nabyl Lahlou