Cette lettre ouverte qui a été écrite et envoyée, le 20 août 1998, à monsieur Abderrahmane Youssoufi, Premier Ministre de la Première Alternance politique au Maroc, a été publiée par le quotidien AL BAYANE, dirigé à cette époque par l'actuel secrétaire général du PPS, Nabil Benabdallah.
la lecture de cette lettre ma paraît, aujourd'hui, toujours d'actualaité.
merci de partager.
Nabyl Lahlou
Lettre ouverte à
Monsieur Abderrahmane Youssoufi
Premier ministre du Royaume du Maroc
Par Nabyl Lahlou,
sujet de Sa Majesté le Roi, interdit de réaliser, de produire et de distribuer ses films. Interdit de présenter ses deux dernières pièces de théâtre sur la scène du Théâtre national Mohammed V.
Monsieur le Premier ministre du Royaume du Maroc,
Il faut posséder une foi inébranlable en Dieu et croire profondément en sa véritable et juste Justice - car celle des humains sonne rarement juste, quand elle n'est pas tout simplement rampante, monnayable, corrompue, sujette aux influences, aux marchandages, aux surenchères, aux manœuvres et aux tentations les plus louches et les plus abjectes les unes que les autres-, pour ne pas céder à l'envie de jouer à « Œil pour œil « et « Dent pour dent » ; car après six années de douleur, de colère et de galère, après six années d'humiliation, il devient quasiment inconcevable à mon être, insupportable à mon esprit et impardonnable à mon âme de continuer à laisser vivre en paix mes deux bourreaux que sont le louche, Souheil Ben Barka, ancien contremaître d'une usine de pates alimentaires, aujourd'hui directeur général du Centre cinématographique marocain, et le vulgaire-cogneur-cracheur sur les visages le répugnant Mohammed Lotfi, ancien fonctionnaire du Centre cinématographique marocain, ancien caméraman pendant la guerre du Katanga, ancien président de la Chambre marocaine des producteurs de films, ancien président de la Commission du Fonds d'aide du Centre cinématographique marocain, durant six ans, et tout nouveau président-directeur général de la toute nouvelle et récente "Association des accidentés de la route pour la région de l'Oriental".
Que n'inventerait pas ce vulgaire et sinistre personnage pour ramasser de l'argent plus facilement et plus rapidement, quitte à marcher sur des cadavres.
Que vaut la vie, que peut valoir une vie, quand ces deux bourreaux du cinéma marocain, qui m'ont poignardé dans le dos, continuent à "se la couler douce ", pendant que le mal que ces deux chiens de garde de l'ordre répressif-bureaucratique-administratif, m'ont causé, continue, inlassablement à faire ses ravages, tout en aiguisant en moi ce besoin vital de laver l'affront pour mettre un terme à cette injustice qui étouffe en moi toute envie d'écrire un nouveau film, toute volonté de vouloir vivre un nouveau film, toute passion et toute ambition de créer sur-le-champ.
Souvent, très souvent, face à cette ignoble et abjecte injustice, fabriquée de mains d'orfèvres en matière d'escroquerie, je ne peux que rendre hommage à tous les sages, ces illuminés, qui, victimes d'injustices, de complots et de machinations, décidèrent de se faire justice, eux-mêmes, par eux-mêmes, la tête haute, en toute liberté, en toute lucidité.
Souvent, très souvent, face à cette ignoble et abjecte injustice, sale machination basée sur la mauvaise foi, l'abus de pouvoir, l'arbitraire, la lâcheté, le mensonge, la trahison, le faux et l'usage de faux, que l'ancien contremaître de l'usine Famo, et l'actuel président-directeur général de " L'Association des accidentés de la route pour la région de l'Oriental", infligèrent à ma personne et à mon dernier film, je ne peux que m'incliner devant la mémoire de tous ces merveilleux rebelles et révoltés, ces fous poètes et ces poètes fous, qui, en l'absence de la justice la plus élémentaire et face aux maux et aux tragédies que sont les dictatures, les despotismes, les abus de pouvoir, les arbitraires et les oppressions, ont su, armés de croyance et de foi, faire chanter la musique des armes pour faire entendre raison.
Comment donc, face à l'oppression, face à la lâcheté, face au faux et à l'usage de faux, face au mensonge, face à la tricherie, face à la trahison, face au complot et à la machination, face à la mauvaise foi, face aux forces du mal, comment ne pas accepter si facilement l'invitation de convoler en noces avec la démence pour pouvoir lucidement mettre un terme à l'humiliation, au mépris, aux atroces douleurs que ne cesse de me causer cette injustice, moralement, physiquement, psychiquement, intellectuellement et matériellement.
Cette atroce et insupportable injustice, j'ai dû rappeler sa scandaleuse et honteuse existence à monsieur Driss Basri, ministre d'Etat à l'Intérieur, lors de la cérémonie de clôture des travaux du Conseil de la Jeunesse et de l'Avenir, qu'il présida à l'hotel Tour Hassan de Rabat, le 21 mai dernier.
Et si j'ai tenu absolument à faire part au ministre d'Etat à l'Intérieur de mon indignation sans limites vis à vis de cette horrible machination et du mal suffoquant que me cause cette mise à mort cinématographique, c'était pour lui faire comprendre, encore une fois, que cette injustice, cette interdiction de ne plus pouvoir produire, réaliser et distribuer mes films, a été décidée, décrétée et prononcée contre ma personne et mon dernier film, pendant qu'il était ministre de l'Intérieur et de l'information.
Face à cette insoutenable indifférence, affichée envers ma personne et vis à vis des nombreuses lettres que j'ai dû écrire pour condamner et dénoncer cette injustice, aussi bien auprès de l'ancien Premier ministre, monsieur Karim Lamrani, de l'ex-ministre de l'Intérieur et de l'Information, monsieur Driss Basri, qu'auprès du conseiller de Sa Majesté le Roi, feu Ahmed Réda Guédira, ou de l'ex-ministre de la Communication, monsieur Driss Alaoui M'daghri, face à cette insoutenable légèreté d'être homme de théâtre et cinéaste marocain vivotant et chômant au Maroc, face à l'insignifiante valeur de ma nationalité et au poids insignifiant de ma citoyenneté de marocain, face au dédain et au silence méprisant et choquant que l'inexistant sujet de Sa Majesté le Roi, ne cesse de récolter depuis que j'adresse des lettres ouvertes aux plus hauts responsables du pays pour dénoncer les injustices, les arbitraires et les interdictions dont je suis victime dans mon métier, j'oppose cette étonnante et fébrile célérité avec laquelle de très hauts responsables du pays réagirent en faisant éjecter de son poste, l'ancien directeur du Centre cinématographique marocain, suite à cette malheureuse et blessante déclaration : " S'il y a un avion qui doit survoler l'espace aérien marocain, je ne le prendrai pas", que le célèbre producteur et acteur américain, Michael Douglas, fut contraint de lâcher pour décrire, en deux mots, les arnaques et les vols dont il fut victime de la part de prestataires de services et autres coursiers et courtiers marocains, pendant le tournage de son film au Maroc.
Face à cette déclaration américaine de boycotter notre ciel et de noircir l'image du pays -bombe qui fit trembler plus d'un très haut responsable de chez nous et coûta son poste au directeur du Centre cinématographique marocain, malgré tous les appuis inimaginables dont il disposait et les protections dont il se croyait investi au plus haut de la pyramide-, j'oppose cette extraordinaire sérénité et cette drôle d'indifférence avec lesquelles les milieux cinématographique et juridique français accueillirent les tonitruantes et fracassantes déclarations du non moins célèbre acteur américain, Robert De Niro, et ses sérieuses menaces de boycotter Paris, la France et le festival de Cannes, suite à sa mise en examen par la justice pour une "audition" dans le rôle de Mackie-le-Surineur, dans un Opéra à plusieurs sous et dessous.
Et malgré un incroyable matraquage publicitaire autour de cette énigme policière, appuyé par un marketing outrancier et une médiatisation indécente, cela n'a nullement empêché la justice française de faire sereinement son travail, en toute liberté et indépendance, sans que personne ne soit chassé de son poste comme le dernier des chiens et sans qu'il y eût l'ombre d'un bouc-émissaire à sacrifier pour soigner l'image de l'Hexagone vis à vis de l'Etranger et de l'étranger De Niro; car on ne badine pas avec la justice d'un Etat de droit et on n'échappe pas non plus à la justice dans un Etat de droit, dont la force de l'image est avant tout l'indépendance de son appareil judiciaire et la crédibilité de son système démocratique, juridique et politique.
Ainsi, cette insoutenable arrogance d'être américain -cette naïveté de vouloir exhiber, à tout prix, sa nationalité américaine, avec par dessus le marché son poids en dollars, en influences et, s'il le faut, en menaces-, si elle peut s'avérer simple monnaie de singe dans les Etats de droit où le Droit est souverain, comme l'a si bien vu et vécu l'illustre acteur américain Robert De Niro, elle n'en demeure pas moins la devise aimée et adorée, la déesse vénérée, aux yeux de certains chefs d'Etats où l'état du droit laisse beaucoup à désirer, comme peuvent en témoigner, d'un côté, l'éviction brutale et humiliante de l'ancien directeur du Centre cinématographique marocain, suite à une mauvaise humeur américaine, et, d'un autre côté, la punition, l'humiliation et les sanctions infligées par l'actuel directeur général du Centre cinématographique marocain à madame Farida Belyazid, suite au soutien qu'elle décida, en son âme et conscience, de me m'apporter -comme l'a fait la majorité des cinéastes arabes et africains, ainsi que la presque totalité des critiques et journalistes de cinéma, tous présents aux Journées Cinématographiques de Carthage, en octobre 1992- en acceptant de signer la pétition, condamnant les décisions arbitraires et indécentes qui ont été illégalement prises par la Commission du Fonds d'aide à l'encontre de ma personne et de mon dernier film La nuit du crime.
Cette même pétition sera signée, quelques semaines plus tard et en l'espace de quelques heures, par une centaine d'intellectuels et d'artistes marocains, dont messieurs Mohammed Achaâri et Mohammed Larbi Messari, tous deux, aujourd'hui, ministres de votre honorable gouvernement.
Monsieur le Premier ministre du Royaume du Maroc
C'est par le triomphe de la justice et de la vérité, par le respect des droits et l'application des lois, par la reconnaissance au citoyen à son droit au rêve, à la dignité, au travail, au labeur et à la prospérité matérielle et culturelle, que le changement que nous attendons finira par s'imposer et triompher face aux ennemis du changement, ces gardiens du statu quo, ces disciples et adorateurs de l'éternel passé, qui veillent hypocrite- ment, farouchement et jalousement sur le maintien et la survie de ses vestiges et de ses décombres, pour maintenir en vie et sous perfusion cet éternel présent, dont ils sucent -en infime et écrasante minorité qu'ils sont- mille présents et mille et un conforts et profits, au détriment des 95% du très gentil et adorable peuple marocain.
C'est par la libre circulation des capitaux humains que sont les idées l'imagination, l'intelligence de l'esprit et la générosité des cœurs, que ce changement auquel nous aspirons de tous nos désirs, de toutes nos forces, ce changement pour lequel nous devons nous battre, continuellement, sans répit, avec nos convictions, toutes griffes dehors, pourra triompher face aux gros porteurs de l'inertie et de la poisse, ces ennemis du changement qui nous sécrètent et distillent quotidiennement des portions de désespoir et d'immobilisme mortels.
Face à la peur et à la suspicion qui ont été diaboliquement planifiées et scrupuleusement mises en œuvre pour régir, sous auto-surveillance, les rapports et les liens entre intellectuels ,penseurs, artistes, prolétaires politiques, philosophes...face au syndrome de la scission et de la division qui n'arrête pas de faire des ravages et d'accoucher de partis politiciens et d'associations "ongues", il nous faut entreprendre avec sérénité et sagesse, avec vision et voyages dans nos temps et nos espaces, une révolution culturelle- ment intellectuelle et spirituelle, pour libérer nos esprits de l'emprise de ces pieuvres que sont justement la peur, la suspicion, la division, la scission, la démagogie, l'hypnose des discours et le mensonge de la télévision avec ses lourdeurs de la langue de bois et ses prêches de mauvaise foi.
Face à ces voyages dans nos temps et nos espaces, heureuses sondes chantant la création et le bonheur, annonçant la fin du cauchemar des barques de la mort et du calvaire des diplômés-chômeurs et des millions de sans emplois, nous nous devons de réussir notre révolution, notre grande et gigantesque kermesse,artistiquement,visuellement,théâtralement,cinématographiquement, télévisuellement, esthétiquement, philosophiquement, verbalement et oralement...pour libérer l'œil, l'ouïe et l'esprit, pour déféodaliser les mentalités de ceux qui gouvernent et dominent notre pays, pour humaniser les comportements de ceux qui décident pour nous, sans nous consulter, pour inviter les ambitions à sortir de leur hivernage et leur léthargie, pour libérer les énergies et mettre en liberté inconditionnelle, la liberté, afin de permettre au langage qui nous codifie et nous cause tant de "tangage" et d'hypocrisie, nécessaires au maintien de nos faux rapports, de ne plus être prisonnier de la langue archaïque qui le véhicule, elle-même prisonnière de tant de tabous et continuellement sur le qui-vive, sous la coupole du palais qui l'abrite.
Monsieur le Premier ministre du Royaume du Maroc
L'homme qu'une heureuse et inattendue circonstance m'a permis de rencontrer et de saluer, pour la première fois de ma vie, dans une galerie de peinture à Casablanca, il y a quelques années, et dont l'humilité, la simplicité et la bonté du regard, firent vibrer en moi les sentiments de respect, de fierté et d'admiration pour les combats, les luttes et les sacrifices qu'il a menés durant la guerre de libération pour l'Indépendance de notre pays, ne peut que comprendre ces propos sincèrement et foncière- ment justes, amers et fortement désespérés et pessimistes, mais combien idéalistes et utopiques, que contient cette première lettre, que j'ai le grand honneur et le devoir de vous adresser, monsieur le Premier ministre du Royaume du Maroc, accompagnée d'un dossier de 151 pages, relatant en détails ce complot et cette injustice dont je suis victime depuis le 16 septembre 1991.
L'homme qui a été bercé par le vent de la révolte et nourri de l'épis révolutionnaire -parce que Dieu en a décidé ainsi-, le militant qui a pris les armes, très jeune, pour combattre les colonialistes et les traîtres, l'homme qui a lutté contre les usurpateurs et autres exploiteurs et profiteurs de notre pays, l'homme qui a été arrête, torturé, emprisonné et condamné à mort, l'homme, ne peut être que scandalisé et révolté par cette injustice que je vis depuis le 16 septembre 19 92, et s'interroger sur l'impunité qui a pu entourer si longtemps ses exécrables auteurs, tout en me comprenant si je décide de convoler en noces avec la folie.
Soyez donc monsieur le Premier ministre du Royaume du Maroc à l'écoute de nos cris étouffés, de nos chuchotements étranglés et de nos balbutiements intimidés... avant qu'il ne soit trop tard.
Fait à Rabat, le 20 août 1998
Signé Nabyl Lahlou
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