Lettre ouverte
SOYEZ OUVERT, MONSIEUR LE PRESIDENT TEBBOUNE.
Monsieur le Président,
Depuis le déclenchement des revendications, justes et légitimes, du peuple algérien frère, demandant l’instauration d’un régime civil et la fin de la main mise de la Grande Muette sur le pays et ses richesses, jamais la devise de la République Algérienne Démocratique et Populaire : Par le Peuple et pour le Peuple, ne m’a paru aussi belle, aussi exaltante et aussi forte et vraie que je l’ai faite mienne, moi, qui suis un sujet de Sa Majesté le roi du Maroc, dont la devise est ALLAH LA PATRIE LE ROI. Je me sens un tantinet concerné et légitimement motivé pour parler de l’Algérie et de mon amour pour votre pays, amour qui remonte à ma rencontre avec un camarade de classe au Collège Moulay Idriss, avec qui nous partageâmes le même banc de la 6eme à la 4eme. Ce camarade me racontait régulièrement les combats héroïques et exemplaires des moudjahidines et de l’armée de libération contre la France qui occupa l’Algérie par la force des armes, et qui, un siècle et demi plus tard, se voit chassée de l’Algérie par la force des armes. Le jour de l’Indépendance de l’Algérie, les larmes de joie et de bonheur coulèrent sur les visages des Marocains et des Marocaines pour qui votre pays et le peuple Algérien étaient comme le Maroc et le peuple Marocain. Dix ans après l’indépendance de votre pays, Mostapha Kateb, directeur des théâtres en Algérie, ayant assisté à une représentation de ma pièce de théâtre Ophélie n’est pas morte que je jouais avec Michel de Meaulnes au théâtre Le Lucernaire, me proposa de venir à Alger pour enseigner le théâtre à l’Ecole Bordj El kifane. Avec nos deux enfants, Chams, âgé de trois ans, et sa petite sœur Assad, âgée d’un an et demi, nous partîmes, mon épouse et moi, au volant de notre voiture d’occasion, une Peugeot 405, pour l’Algérie, armés de notre idéalisme et de notre sens de la solidarité et du sacrifice comme nous l’avions prouvé sincèrement en acceptant d’habiter dans un bureau au quatrième étage d’un bâtiment administratif, aménagé en chambre d’hôte, sans cabinet de toilette ni eau ; il nous fallait descendre les quatre étages pour chercher l’eau. En attendant de déménager dans un appartement, ma femme, Eveline, agrégée de lettres classiques, enseigna bénévolement le français aux futurs comédiens, pendant que moi, je les initiai à la pratique théâtrale, loin des discours théoriques. Parallèlement, je montais au théâtre National d’Alger, ma pièce La Grande kermesse, devenue Azzerda, sur proposition de Mostapha Kateb. Si les élèves de première année, tous des fils de chouhada, des orphelins, finirent par apprendre à rire, facilement et spontanément, eux qui ne pouvaient même pas sourire, pour les futurs comédiens et comédiennes de la 4ème et dernière année, qui intègreront le TNA, danser un slow en serrant sa partenaire contre soi, était inacceptable. Dieu le père! Le FIS rôdait-il déjà en 1972 ? Et comme je vois sur les photos et dans des reportages télévisés, les Algériens et les Algériennes, qui réclament la fin du régime militaire, défiler séparément, je me dis que le fantôme du FIS est revenu. Mais revenons à Bordj El Kifane que nous quittâmes pour un appartement aux Anassir que nous abandonnions, un soir, avec toutes nos affaires, pour quitter, dans la précipitation, l’Algérie, car je ne me sentais plus concerné par un pays que je croyais socialiste, humaniste et libre. Je me sentais moins libre comme Vaclav Haval, qui en bava sous le régime communiste de son pays. Nous roulâmes toute la nuit et faillîmes être renversés par un sanglier. Arrivés à la frontière Jouj Bral (Les deux mulets), nous présentâmes nos passeports à un jeune officier qui, me reconnaissant, n’osa pas manifester sa joie envers moi, de peur d’être accusé de faire du favoritisme. Il regarda nos passeports puis me les rendit en me disant sur un ton autoritaire : File vite. Rentre chez toi. C’était pour nous une chance divine, car si nous étions tombés sur un autre officier, il nous aurait refoulé à Alger pour faire nos cartes de séjour. Bonjour la bureaucratie. J’ai évoqué cet officier, qui n’était autre que mon camarde du collège Moulay Idriss, sous le nom de Rachid Ghozali, dans deux scènes dans mon dernier film Regarde le roi dans la lune, dont le directeur de la photo et l’ingénieur du son, sont de des frères algériens, comme ceux qui signèrent l’image et le son de deux autres de mes films. L’Algérie était bien ancrée dans mon cœur pour que je décline toute invitation venant de mes amis algériens. Ainsi, en pleine montée du FIS, je m’étais rendu à Alger à mes frais, en compagnie de ma deuxième femme, la comédienne Sophia Hadi, pour présenter gratuitement quatre de mes films dans la Cinémathèque d’Alger et celle de Blida. C’était sur une invitation du directeur des cinémathèques algériennes. Pendant notre séjour à l’Hôtel Orasis, j’ai vu, attablés dans le restaurant, des sahraouis aux visages beaux et nobles. Je vous avoue, monsieur le Président, que j’ai eu une vraie envie de me lever, d’aller les saluer et de demander s’ils voulaient bien discuter avec moi du Sahara marocain. Mais j’ai eu peur car je savais que j’étais dans un pays qui a fait de l’affaire du Sahara marocain, un fonds de commerce et un point d’honneur. J’ai longtemps observé les visages, ornés de fines barbes blanches, de ces hommes, de ces sahraouis septuagénaires que je n’ai pu m’opposer aux larmes qui mouillèrent mes yeux. Quel grand malheur pour les pauvres peuples maghrébins de se voir divisés, appauvris, manipulés et dressés les uns contre les autres, au nom d’une sale maladie mentale nommée Pouvoir. En quittant Alger au volant de la voiture dont la vitre de la porte arrière a été cassée, je me répétais sans cesse ; Quel gâchis ! Le colonialisme continue de gangréner nos deux pays pour son bonheur et notre malheur, le malheur des peuples, algérien et marocain Vive L’Algérie, sœur du Maroc. Vive le Maroc, frère de l’Algérie.
Rabat, 30 décembre 2019 Nabyl Lahlou
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