Lettre à
Francis Ford Coppola
Bienvenue dans le plus beau pays du monde
par Nabyl Lahlou
Comme vous qui avez écrit de très grands scénarios, vous qui avez produit et réalisé de très beaux et grands films, moi aussi, je suis un grand scénariste et un très grand réalisateur. Mais contrairement à vous qui êtes né dans le pays où les rêves les plus fous et les plus inaccessibles voient le jour et s’épanouissent, moi, qui ai ouvert les yeux dans « Le « plus beau pays du monde », mes rêves les plus modérés sont étouffés à leur état embryonnaire. Les grands rêves susceptibles de balayer la féodalité et l’archaïsme qui gangrènent le pays, sont prohibés. Je le sais encore aujourd’hui, tout comme je l’ai su hier, c'est-à-dire, il y a une cinquantaine d’années, quand ma première pièce de théâtre a été interdite au public de mon pays. C’est pourquoi, tout en sachant que je suis aussi créatif et imaginatif que vous, aussi talentueux et génial que vous, je vous dis, cher Francis Ford Coppola, cher géniteur de Conversation secrète, que je n’aurai jamais ni les moyens financiers ni le droit à la liberté d’expression la plus élémentaire pour tenter, de mon vivant, caresser le rêve de réaliser un seul beau et grand film. Et comme je l’ai annoncé il y une trentaine d’années, c’est finalement chez Allah, Allah mon producteur et protecteur, que je réaliserai mon plus beau et mon plus grand film premier film.
« C’est quoi un film, Monsieur Coppola ? ». «C’est quoi être cinéaste, Monsieur Coppola ? ». « A quoi sert-il de faire un film, Monsieur Coppola ? ». Ce sont là quelques questions parmi tant d’autres que l’assistance vous posera à l’occasion du « master class » que vous allez animer à Marrakech, l’occasion de la tenue de son 10ème Festival International du Film.
Quels conseils pourriez-vous donner à tous ces jeunes marocains et marocaines qui rêvent de devenir cinéastes, alors que leur pays, « Le plus beau pays du monde », ne possède pas la moindre école décente pour enseigner l’art du cinéma ?
Quels espoirs cinématographiques pourriez-vous dessiner à l’horizon à tous ces jeunes marocains et marocaines qui rêvent de faire des films, alors que leur pays, « Le plus beau pays du monde », qui doit projeter leurs futurs films, ne dispose plus que de quarante salles de cinéma, quarante écrans, à 97 % mis à la disposition des films américains, parlant français, et des films français, parlant français, car notre pays, « Le plus beau pays du monde », ne produit pas plus que trois à quatre films par an, des films qui ne voient le jour que deux à trois ans après le premier tour de manivelle du leur tournage.
Le discours officiel, lui, vous dira que « Le Maroc pays produit entre quinze et vingt films par an. Des films qui raflent des Prix dans tous les festivals où ils sont invités ».
Ces jeunes marocains et marocaines qui vont venir vous écouter et boire vos paroles, doivent savoir que notre pays ne possède pas un seul producteur de cinéma. Pas un seul producteur au vrai sens du mot. « Le plus beau pays du monde », depuis la marocanisation, n’a que de voraces prestataires de services pour servir de coursiers et intermédiaires aux grosses productions internationales qui viennent tourner une partie de leurs films dans notre pays parce qu’il est parmi les pays les moins chers de la planète. Ceci vous le savez si bien puisque deux de vos films Patton et L’étalon noir ont été partiellement tournés dans notre pays.
Après plus de soixante ans de tournage des films étrangers, et après plus de 55 ans d’Indépendance, nous ne disposons, aujourd’hui, que de trois chefs opérateurs, correctement opérationnels pour filmer en 35 mm. Quant à l’existence d’un vrai directeur de la photographie, digne de ce nom, il n’y en a point.
Et parce que personnellement, je ne vois et ne conçois le cinéma que comme un acte hautement militant, un art de militantisme, donnant à voir la dure réalité, sans maquillage, sans compromis, sans concession ni hypocrisie, je vous vois mal, pendant votre « master class », parler de vous et des problèmes que vous avez rencontrés pendant les tournages de vos films, comme l’avait fait votre confrère et compatriote le magnifique Martin Scorsese, quand il a été invité à la 7ème édition du Festival International du Film de Marrakech, pour donner sa « Leçon de cinéma ».
J’aurais aimé être présent à votre « Leçon de cinéma », ne serait-ce que pour vous dire : comment un homme comme vous, un créateur libre et indépendant, a accepté tous ces avions et tous ces hélicoptères que le président dictateur Philippin a mis à votre disposition pendant le tournage de votre Apocalypse now.
Dénoncer la folie de la guerre américaine au Vietnam, d’un côté et, d’un autre, tendre la main au dictateur Marcos, où est la place de la morale face à celle du Business.
Rabat le 2 décembre 2010
Signé Nabyl Lahlou
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