lundi 25 février 2013

FERONT-ILS LA QUEUE POUR ALBERT CAMUS ?


 
Je me souviens du jour où le directeur du  Théâtre Bouchaïb Bidaoui - plus connu sous le nom : Théâtre  Sidi Belyout - , me demanda de reporter à deux jours la première  représentation de ma pièce :  " LES MÉMOIRES D'ALEXIS IVANOVITCH NICOLASY KOL KOL TEUKH MAUKH", car il avait promis de mettre le Théâtre à la disposition d'une Association juive qui parrainait le premier spectacle d’un jeune humoriste, nommé GAD ELMALEH.
Cela s'était  passé en mars 1993. 20 ans, tout rond. 
Si le jeune GAD ELMALEH donna son premier ONE MAN SHOW au Théâtre Bouchaïb Bidaoui,  plein à craquer de juifs marocains, fiers de soutenir l'un des leurs, moi, deux jours plus tard, je jouai  ma pièce de théâtre "LES MÉMOIRES D'ALEXIS IVANOVITCH NICOLASY KOL KOL TEUKH MEUKH" devant des sièges vides et grelottant de froid et de solitude.
J’en ai encore conclu que les marocains et les marocaines, musulmans francophones ou anglophones, et même berbérophones, n’aiment pas du tout aller au théâtre pour voir des pièces de théâtre, interprétées en langue arabe, classique ou dialectale. Ils ont peut-être raison.
C’est aussi un mépris cinglant que ces marocains musulmans francophones argentés, affichent, ouvertement, vis-à-vis de tout ce qui a trait à la langue arabe ou au spectacle en langue arabe, car, d’après ses gens-là, c’est souvent barbant, archaïque et arriéré. Là, je ne peux leur donner raison. Car si la France, en tant qu’ex-puissance coloniale a quitté, territorialement, le Maroc, elle y demeure, grâce à sa langue, sa belle langue,  présente dans les esprits de ceux et celles qui dominent et dirigent le pays.  Et ce sont ces gens-là, ces décideurs, ces marocains musulmans francophones fortement argentés, de tous âges , ainsi que leur progéniture et ceux et celles qui veulent leur ressembler, ou les imiter, qui se sont réveillés, un lundi  18 février  à 6 heures du matin pour aller former une queue de plus de deux cents mètres devant le Théâtre National Mohammed V, dans l’espoir de pouvoir acheter un billet à huit cents dirhams (800 dirhams), pour voir leur idole GAD ELMALEH, le chouchou des français de France et des marocains français du Maroc.
Super médiatisé, comme le chanel 5, ou le fromage Bridou, plus présent dans les esprits des marocains francophones et des français marocains, que les cinq appels à la prière que 2M est obligée de diffuser chaque jour, GAD ELMALEH, ce chouchou des français de France et des marocains français du Maroc, n’avait même pas besoin de publicité pour faire parler de son spectacle. Car avant même de l’annoncer, ses promoteurs avaient déjà vendu tous les billets pour trois représentation au théâtre Mohammed V, aux prix de 800 dirhams. 600 dirhams. 400 dirhams, soit presque  un million de dirhams par représentation de deux heures maximum.
Ainsi la star française , Gad El Maleh, retournera-t-elle  à Paris,  chez elle, enrichie de plusieurs millions de dirhams qu’elle aura gagnés avec ses huit représentations, données à Casablanca, Marrakech et Rabat,  huit prestations qui lui auraient permis de rôder ses gags devant des milliers de cobayes marocains, médusés et acquis à ses gags, des gags dont aucun ne passera s’il les jouait en langue marocaine dialectale. Il en est de même pour les gags de son compatriote français Jamal Debbouze, la star française, le chouchou des français. Ceci dit, je ne peux que crier : Vive la République française qui a donné  tant de GAD et de  DEBBOUZZE.
Je ne peux que crier aussi :Pauvres de nous, nous, les marocains, qui continuons de nous mépriser et mutuellement, parce que nous ne croyons plus, en bons colonisés, dociles et assujettis que nous sommes devenus, qu’à tout ce qui est étranger et vient de l’étranger. Une queue de deux cents mètre pour voir un humoriste. Quelle tristesse!
J’an doute fort que ces marocains et marocaines, musulmans, francophones, fortement argentés et possédant la double nationalité, sinon la triple, pourront-ils se présenter au guichet du Théâtre National Mohammed V quand la grande comédienne marocaine, Sophia Hadi y jouera LA CHUTE d’Albert Camus. Quel gâchis !

Rabat, 25 février 2013
Signé Nabyl  Lahlou




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