lundi 4 juin 2012

LETTRE OUVERTE A MONSIEUR DRISS BENALI PRESIDENT DE LA COMMISSION DE L’AVANCE SUR RECETTES

LETTRE OUVERTE
A MONSIEUR DRISS BENALI PRESIDENT DE LA COMMISSION DE L’AVANCE SUR RECETTES

Deux millions de dirhams pour aller au Marché du Film à Cannes,
et pas un seul mètre de pellicule au laboratoire du CCM !

Monsieur le Président,

La copie de mon film Regarde le roi dans la lune ou L’année des mille et une lunes, que vous et votre honorable commission visionnerez, le 06 juin prochain, dans le cadre de l’octroi de la dernière tranche de « L’avance sur recettes », est une copie sous-titrée uniquement en langue française. Cette copie n’a pu être sous-titrée également en langue arabe car la machine de sous-titrage est subitement tombée en panne, juste après avoir gravé les sous-titres en langue française. C’était le 13 janvier dernier 2012, 24 heures après l’ouverture du 13ème Festival National du Film où mon film Regarde le roi dans la lune ou L’année des mille et une lunes, a été présenté, mercredi 18 janvier 2012, amputé de ses sous-titres en arabe, sous-titres nécessaires pour la compréhension du film par les spectateurs qui n’ont pas d’atome crochu avec la langue française.
Aussi, depuis le mois de février, jusqu’au 29 mai 2012, je n’ai cessé de demander, aussi bien oralement que par écrits adressés au chef du laboratoire du Complexe Cinématographique Marocain et au directeur général du CCM, que le laboratoire tire la copie n°1 de mon film : Regarde le roi dans la lune ou L’année des mille et une lunes, dans le but de vous donner à visionner une copie définitivement étalonnée et sous-titrée en français et arabe pour que tous les membres de la Commission puissent se sentir à l’aise en regardant le film, dont plusieurs scènes sont interprétées par des acteurs qui parlent la langue française.
Malheureusement, le très sympathique chef du laboratoire et de l’auditorium du Complexe Cinématographique Marocain ne pouvait donner la moindre suite favorable à ma demande, combien de fois renouvelée. La cause en est que le laboratoire du Complexe Cinématographique Marocain ne possède pas un seul mètre de pellicule pour le tirage des copies.
Oui, monsieur le président de la Commission du Fonds d’aide, le laboratoire du Complexe Cinématographique Marocain n’a pas de pellicule pour tirer une seule copie. Par contre, il peut se mettre à fonctionner si j’achète la pellicule, moi-même, et l’apporte aux techniciens du Complexe Cinématographique Marocain pour me tirer la copie de mon film. Mascarade ou sabotage ? Seul le puissant patron du Centre Cinématographique Marocain possède la réponse.
Car c’est vraiment révoltant, scandaleux, voire dégoutant, de voir le directeur général du Centre Cinématographique Marocain, à qui le ministère des Finances a accordé deux millions de dirhams, s’envoler pour la foire internationale du Marché du Film du festival de Cannes, sans avoir honte de laisser le laboratoire du CCM sans pellicule.
Deux millions de dirhams qui partiront en fumée pendant les dix jours que dure ce marché aux navets. Et c’est depuis 2006 que le patron du CCM, accompagné de cinéastes et de journalistes, va au marché du film de Cannes qui se tient dans l’immense sous-sol du Palais du Festival de Cannes, là où le Maroc loue son kiosque de 14 mètres carrés pour faire connaître les films marocains, pour faire de la pub aux studios de Ouarzazate (qui appartiennent à des privés), et l’apologie des garanties et des facilités que le Maroc peut donner et apporter aux producteurs qui voudront venir tourner leurs films au Maroc.
Deux millions de dirhams pour aller à cannes, et pas un sou pour faire fonctionner le laboratoire du CCM dont le bâtiment circulaire est représenté dans le catalogue édité à l’occasion de ce pèlerinage annuel au marché du film de Cannes.
Et c’est dans le même catalogue qu’on voit sur une photo, Hamid Bayzou, installé devant sa machine pour étalonnage argentique, une machine qui ne fonctionnera plus, car Hamid Bayzou, dès le mois de juillet 2011, tomba gravement malade, pour rendre l’âme le 11 mai 2012. Quelle cynisme de la part des concepteurs de ce catalogue de publier sa photo, pour faire la réclame à la station d’étalonnage qui ne fonctionnera plus, parce que Hamid Bayzou n’est plus.
Grotesque catalogue qui vante, sans vergogne, les qualités des techniciens du laboratoire et la perfection des copies tirées par le laboratoire, un laboratoire qui ne possède pas un seul mètre de pellicule, et dont les dix techniciens se tournent quotidiennement les pouces pendant les 99% du temps qu’ils doivent passer à compter les mouches dans ce laboratoire désert et qui rappelle par son aspect vétuste et délabré, l’aile d’un hôpital abandonné.
Voilà pourquoi 90% des films dits marocains sont tirés et sonorisés et kinescopés dans des laboratoires français, belges italiens et espagnols. Quelle honte pour notre pays qui donne plusieurs millions de dirhams à des cinéastes qui abandonnent le laboratoire et l’auditorium de leur pays le Maroc, pour aller dépenser ces millions à Paris, Bruxelles ou Rome. Sans doute le jeu des ristournes y est pour quelque chose.
Comme je l’ai dit en 1990, dans une émission de la télévision marocaine, le Centre Cinématographique Marocain doit être assaini et lavé de la tête aux pieds.
La renaissance d’un vrai cinéma marocain ainsi que la survie d’un cinéma marocain fait par des cinéastes marocains qui ne vivent que du cinéma et ne travaillent qu’au Maroc, passe par la promulgation d’une loi qui interdira aux agences de publicités ainsi qu’aux sociétés marocaines prestataires de services cinématographiques, de servir d’intermédiaires aux cinéastes qui n’ont pas de sociétés de production, en déposant leurs scénarios pour demander L’avance sur recettes. Il en est de même pour les cinéastes marocains qui ont choisi de quitter le Maroc pour aller s’installer définitivement à l’étranger, et qui ne reviennent au Maroc que pour toucher le Fonds d’aide. Cette loi sera également appliquée aux cinéastes étrangers, dits d’origine marocaine, nés à l’étranger, et qui n’ont jamais posé leurs pieds au Maroc, mais que des prestataires de services poussent à venir déposer leurs scénarios pour décrocher la jack pot du Fonds d’aide, à l’image d’une cinéaste anglaise, dite d’origine marocaine, dont le scénario, déposé par le prestataire de services cinématographiques, le richissime Sarim Fassi Fihri, le propriétaire des tudios Medina, décroche cinq millions de dirhams en 2008, accordée par la commission présidée par le professeur Bensalem Himmich. Et en ce début mois de juin 2012, personne n’a vu ni la silhouette de cette réalisatrice anglaise, dite d’origine marocaine, ni le film pour lequel elle a obtenu cinq millions de dirhams grâce à l’intermédiaire du prestataire de service Sarim Fassi Fihri.
Puisse l’homme que vous êtes, prendre cette lettre comme un sincère appel à une justice cinématographique.
Merci à vous.

Rabat, 31 mai 2012
Nabyl Lahlou

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